Le château de cartes
Bon an mal an, au fil du temps on tente tant bien que mal de se fabriquer une vie heureuse, palpitante et prévisible. Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. Qu’on affiche sur sa page Facebook! Jusqu’au jour où soudain, tout s’écroule, tel un château de cartes.
C’est la crise!
Qu’on n’affichera pas nécessairement sur sa page Facebook!
Personne n’est à l’abri des coups durs de la vie. Selon les circonstances, l’histoire personnelle de chacun et l’importance relative des épreuves, les bouleversements qu’ils engendrent peuvent être dévastateurs. Et la reconstruction, d’autant plus ardue et longue.
Au bout du compte, de désillusions en déceptions, ce qu’on perd en naïveté, on le gagne en maturité. Plutôt que de nous affaiblirent, les épreuves nous fortifient. À condition d’en retirer les bonnes leçons.
Dont celle-ci : on n’a pas droit au bonheur, mais à la satisfaction de la difficulté surmontée, du défi relevé. On y acquiert l’estime de soi, la résilience et l’humilité.
Peu à peu, la vie reprend son cours… sur de meilleures assises.
Pour un certain temps du moins… jusqu’au prochain bouleversement. Jusqu’à ce que surgisse de nulle part une énième épreuve. Toujours celle de trop! Suivie d’un autre désenchantement, d’une autre crise. Plus ou moins sévère que la précédente.
Injuste? Frustrant? Décourageant? Fatalisme?
Oui peut-être, mais pas nécessairement.
Les quatre vérités de Bouddha
Depuis des millénaires, tous les enseignements traditionnels, quelle qu’en soit l’origine ou l’époque, nous rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille, comme on le souhaiterait. Que les épreuves sont inhérentes à l’existence humaine sur terre.
« L’épreuve du temps » en étant l’ultime parmi toutes: « Avec le temps, tout s’en va… », chante le poète.
Bouddha résume ainsi la condition humaine: 1) Nous naissons; 2) Nous vieillissons; 3) Nous connaissons tous la souffrance (physique et morale); 4) Nous mourrons.
Pas jojo comme programme, me direz-vous! « Cela est », répond le Mystique.
Depuis toujours, l’humanité entière est confrontée à ces quatre vérités. Certes, il y a des aménagements possibles, mais sans exception, personne n’y a encore échappé.
Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir essayé.
La créativité humaine est sans limites lorsqu’il s’agit de se raconter des histoires pour faire diversion. Des histoires qui ne tiennent plus la route, lorsque confrontée à la dure réalité d’une rupture amoureuse; à l’éclatement d’une cellule familiale; à l’apparition d’une maladie dégénérative ou d’une dépression; à un accident grave qui hypothèque une vie entière, la sienne et celle des autres; à la disparition soudaine d’un être cher; à une faillite ou à des ennuis financiers qui nous précipitent dans l’indigence moral et matériel; à un incendie dévastateur ou à une inondation qui engloutit tous nos biens; ou encore à la détresse d’un proche qui en est victime.
Il en faut moins pour réveiller une angoisse existentielle en dormance sous le masque des apparences.
Un prozac avec ça!? Ou pour la génération Z, une petite shot d’antidouleur (opioïde) injectée, saupoudrée, sniffée, vapotée…
Shiva et l’entropie universelle
Depuis l’aube de l’humanité, toutes les grandes religions et philosophies ont tenté de donner un sens aux « 4 vérités de Bouddha ». Avec plus ou moins de succès, avouons-le.
Par exemple, l’Hindouisme — une des plus anciennes « religions » du monde — représente la roue de l’existence par le jeu concerté de trois divinités : Brahma (création), Vishnou (cohésion) et Shiva (destruction).
À remarquer qu’aucune d’entre elles n’est considérée comme étant bénéfique ou maléfique. Chacune remplit son rôle respectif dans l’évolution de l’univers en général et de notre vie en particulier. Y compris la déesse Shiva qui est à l’origine de nos déconfitures et périodes de crise. Sa dynamique destructrice n’en est pas moins fort utile pour métaboliser nos graisses ou nous guérir d’une infection. Ou composter notre jardin!
En thermodynamique,la science des grands systèmes en équilibre,Shiva est la manifestation de la loi naturelle de l’entropie: tout tend à se désagréger et à revenir au chaos initial. C’est la sentence biblique : « Tu es poussière, tu retourneras poussière ».
Cette loi universelle est à l’œuvre pendant toute notre vie. Comme on peut le constater tous les matins devant notre miroir (!), ainsi que dans l’état permanentde la chambre des enfants!
Son action est omniprésente dans l’évolution des civilisations, les cycles économiques et la gestion des entreprises*. À l’échelle humaine, elle nous contraint à l’entretien de notre maison, de notre auto, de notre couple et de notre santé autant physique que mentale. Et à la révision périodique de nos préjugés!
Sinon, c’est le dépérissement précoce et le chaos.
À l’action dégénérescente de Shiva, ou si vous préférez, à l’entropie universelle, la Vie oppose l’action régénératrice de Brahma, la néguentropie. Exprimée en des termes plus spirituels, il faut « mourir pour vivre ». Ça ne vous dit pas quelque chose?
« …si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. » (Jean 3:3.)
Ou pour les agnostiques : « Changer, c’est à la fois naître et mourir. » (Carl Gustav Jung)
C’est par l’action coordonnée de la création ―Brahma― et de la destruction ―Shiva― que la vie maintient sa cohésion ―Vishnu―. À l’origine de la régénérescence cellulaire dans notre corps, du cycle des saisons dans la nature et de l’unique constante de l’univers, le changement.
Autre exemple : Gérer le changement organisationnel et l’adaptation des humains aux changements ―qui fut ma profession pendant plus de 40 ans― c’est gérer l’entropie d’une organisation. Ou bien une organisation se régénère, ou elle dégénère.
« Souffler bobo » et shinrin-yoku
Le bouddhisme symbolise ce cycle évolutif de la vie par la fleur aux mille pétales, le lotus. Celle-ci émerge du lis des marais, s’élève jusqu’à la surface de l’eau, pour s’épanouir en pleine lumière, ses racines toujours plongées dans « la boue obscure des souffrances ».
Singulièrement, c’est par la néguentropie que l’univers remet de l’ordre ― la fleur de lotus ― dans le désordre créé par l’entropie ― l’humus en décomposition ―.
Pas uniquement dans les marais par ailleurs, dans nos vies également.
Apprendre à reconnaître la dynamique de Shiva à travers les épreuves de la vie, ne nous en épargne pas, mais cela nous permet à tout le moins de les transcender. Ce qui n’est pas si mal. Transcender une souffrance, c’est comme « souffler bobo », ça ne guérit pas, mais ça soulage, momentanément.
Éventuellement, avec les années qui passent, cela nous aide de plus en plus à traverser les inévitables saisons de la vie en adaptant la bonne attitude pour chacune d’elle.
« Nous ne pouvons pas changer l’inévitable. La seule chose que nous pouvons faire est de compter sur une chose que nous possédons: l’attitude que nous adoptons.
Je suis convaincu que notre vie est constituée de 10 % de ce qui nous arrive et de 90% de comment nous réagissons à ce qui nous arrive. Je crois qu’il en est de même pour vous. Nous sommes tous responsables de nos attitudes.»
(Charles Swindoll)
Me fait penser à cevieux dicton norvégien qui nous rappelle qu’il n’y a pas de mauvaise température, seulement de mauvais vêtements.
Sur ce, je vous souhaite de saines randonnées de méditation dans la nature, en toute saison, beau temps mauvais temps.
Bon shinrin-yoku!
*L’entropie est à l’origine du Kaizen japonais ou le PAC (processus d’amélioration continue) dans les organisations. Ici « Kai » signifie changementalors que « Zen » signifie bien ou meilleur. Une discipline à laquelle j’ai consacré la majeure partie de ma vie professionnelle.